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Projet du musée Kanal à Bruxelles

Kanal, toujours plus ?


Yves Bernard, architecte

En augmentation depuisles premières estimations,le budget de Kanal-Pompidou inquiète. Jugés opaques par plusieurs observateurs, les derniers chiffres du projet font débat.

Le 29 janvier dernier, Yves Goldstein, administrateur délégué de la Fondation Kanal, présentait devant la commission Développement territorial de la Région de Bruxelles-Capitale le projet du futur centre d’art prenant place dans l’ancien garage Citroën. Au total, quelque cinq heures de conférence dont Yves Bernard, architecte et ingénieur informaticien à qui l’on doit notamment la création d’un centre d’art dédié aux cultures numériques et aux technologies (iMal) à Bruxelles, n’a pas raté un mot. Ni un chiffre. Et qui s’est effrayé de la confirmation du montant de l’addition, soit un budget total, travaux compris, esti- mé à près de 400 millions d’euros à l’hori- zon de fin 2028 (précisément 391,7 millions d’euros, selon le cabinet du ministre- président Rudi Vervoort (PS)). « Je suis surpris qu’il ait fallu attendre si longtemps – depuis 2018 – pour avoir enfin un tel exposé avec des chiffres et quelques infor- mations concrètes », mentionne-t-il dans un long article de dix pages à paraître le 29 février sur son site (1).

Toujours est-il que les montants concernés apparaissent, à cet observateur averti, « pharaoniques » et « ahurissants » au regard des finances d’une Région déjà exsangue. Il n’est pas le seul à ouvrir de grands yeux. Président bruxellois des Engagés, Christophe De Beukelaer rap- pelle l’accord de base : « Depuis le début, le gouvernement a toujours évoqué un budget de 150 millions d’euros. En prenant en compte des coûts raisonnables de fonc- tionnement, disons entre quinze et vingt millions par an, ça représentait une ardoise de 225 millions d’euros. Aujourd’hui, selon les estimations, la note s’échelonne entre 370 et 400 millions d’euros. »

Le musée Kanal en photo - prévision

Si l’on en croit Yves Bernard, Kanal s’avancerait en conséquence comme « le centre d’art le plus subsidié de Belgique ». Et d’enfoncer le clou : « Kanal est mal posé, disproportionné pour une pauvre Région de Bruxelles-Capitale. C’est un projet pour un Etat ou une très grande ville comme Paris, il est financièrement irréaliste, un gouffre, avec un montage structurel ban- cal. C’est presque de l’amateurisme et c’est dangereux. » A cet argument, d’aucuns opposeraient l’exemple du musée Guggenheim de Bilbao, audacieux défi mené, entre autres, par le gouvernement basque. Très contesté au départ, le musée est désormais cité comme un exemple de cette « revalorisation urbaine » tant prisée par le monde politique. Une étude, citée en mai 2017 par le journal Le Monde dans un article intitulé « Bilbao profite du succès du Guggenheim », révélait que le musée avait soutenu l’activité économique de la ville du Pays basque espagnol à concur- rence de 485 millions d’euros en 2016, soit un très beau et très souhaitable retour sur investissement. Différence notable, le Guggenheim de Bilbao s’est construit sans dépassement de budget – un très « sobre » 110 millions d’euros de facture globale. Sans oublier un autre détail crucial : le bâti- ment dessiné par Frank Gehry a vu le jour à la date prévue ; nul ne sait aujourd’hui s’il en sera de même pour Kanal.


« Bal populiste »

Au lieu de rassurer, les chiffres avancés lors de cette récente commission par le direc- teur général de la Fondation Kanal ont mis le feu aux esprits. Notamment en raison d’une équipe de 119 équivalents temps plein (ETP) qui fait bondir une partie du monde culturel. Pour Yves Bernard, les tableaux présentés par l’équipe dirigeante sont « fallacieux » quand ils mettent en relation les 119 ETP de Kanal, au regard d’une superficie de 40 000 m2, avec, par exemple, ceux du musée de Tervuren comptant 213 employés pour 11 000 m2. « Ces chiffres oublient les missions très différentes des autres institutions, comme la conservation de milliers d’objets ou la recherche. Il aurait fallu établir la compa- raison avec une institution similaire. Ainsi du Palais de Tokyo, à Paris. Sur cette base, on se rend compte que le ratio réel est de un ETP/100 m2 pour Kanal contre un ETP/244 m2 au centre d’art parisien, soit deux fois plus de personnel », pointe le fon- dateur d’iMal. Sans surprise, il est rejoint par Christophe De Beukelaer : « Près de 120 personnes travaillent à ce projet. Avec des salaires pointés du doigt par l’Inspection des finances car ils dépassent les moyennes du secteur. C’est la folie des grandeurs ! », tempête le député sans toutefois désavouer l’impulsion initiale. Et l'intéressé de préci- ser : « Le musée était un beau projet, mais il aurait dû garder une taille raisonnable et profiter aux artistes bruxellois. Mais non, le gouvernement bruxellois a les yeux plus gros que le ventre et s’est lancé dans un des- sein faramineux infinançable. La commis- sion n’a pas permis de nous rassurer : opacité sur certains chiffres (salaires, coûts d’exploitation...), mauvaise utilisation des surfaces (40 000 m2 alors que l’ex- position à proprement parler ne concerne que 15 000 m2), calculs qui ne prennent en compte que les emplois à temps plein de la Fondation Kanal mais pas de toutes les structures liées... »

Dans la foulée de cette diatribe, Dirk Snauwaert ne mâche pas ses mots, lui non plus. « Lorsque je passe devant l’ancien garage Citroën, je me rends compte que la promesse faite de conserver le patrimoine n’a pas été tenue, il ne reste quasi plus rien du bâtiment initial », constate le directeur du Wiels, le centre d’art contemporain à Bruxelles. Au regard du reste de la critique qu’il adresse au projet, celle-ci relève presque du détail. « Ce musée doit s’ouvrir en 2025 et aucun programme n’a été pré- senté. Avec tout le respect que je porte à Kasia Redzisz, la directrice artistique, je ne vois la promesse d’aucun contenu. Il y a bien cette idée d’ “art total” mais cela sonne creux. A dire vrai, je n’imagine pas cet endroit ouvrir un jour. Je conseille à tous ceux qui ont été engagés au prix fort, ce qui sacre une inégalité structurelle par rapport aux autres institutions, de s’acheter un double parachute doré. L’impression que Kanal me laisse est celle d’une immense salle de bal que se sont payé les populistes de la Région », assène Dirk Snauwaert.



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